Dans cet entretien, Cyrille Vu retrace son parcours entrepreneurial marqué par des choix audacieux et un
engagement profond envers un capitalisme plus équitable. Fort d’une trajectoire singulière entre héritage
culturel, réussite financière et réflexion philosophique, il a pris la décision de transformer son entreprise,
Seabird, en une société à mission. Porté par des valeurs d’équité et de durabilité, Cyrille explore les chemins
d’un partage plus juste des ressources et des responsabilités, avec pour objectif d’inscrire son activité dans une dynamique de changement social et environnemental.
Un parcours singulier : de la finance à l’entrepreneuriat
Ton parcours est assez singulier. Quel rôle ton héritage culturel a-t-il joué dans ta vie professionnelle ?
Mon père est arrivé du Vietnam en 1950 après s’être échappé du maquis Viet Minh. Il arrive en France et rencontre et épouse ma mère, une bourgeoise de Poitiers, quelques années plus tard. Donc moi, je suis le produit d’un immigré vietnamien un peu cassé par la vie et d’une catholique du centre de la France. J’ai reçu en héritage, au plan culturel, au plan social, au plan des valeurs. J’ai eu la chance de faire de belles études. Je suis rentré dans un cursus assez classique de finance, j’ai été directeur comptable, directeur financier de sociétés anglo-saxonnes ou françaises, de société cotée…
En 2010, j’ai retrouvé un vieux copain qui avait monté une petite boîte de conseil et qui a proposé que nous devenions associés. Moi, j’avais cette vocation entrepreneuriale et une envie de conquérir le monde. J’ai développé le désir de gagner, le désir de vaincre, le désir d’être meilleur et qu’on me respecte. C’est assez fondateur dans ma personnalité et dans mon envie de « conquérir le monde » à mon échelle.
Donc, tu acceptes l’offre de ton ami ?
C’est ça. En 2010, on développe le cabinet dont la valeur s’accroît très vite. On fait trois LBO en 10 ans, on passe de 15 à 252, de 1,2 million à 35 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et là, je vois que je vais devenir riche. En 2018, le fondateur souhaite partir. C’est le début de négociations compliquées sur la valorisation conséquente de la boîte. Et c’est là que je comprends et que je matérialise en fait la valeur de la boîte. Que j’en comprends les enjeux. Ça se passe très mal, car il demande une valeur absolument insensée et malheureusement ça nous coûtera notre amitié.
Vers un capitalisme équitable
À quel moment as-tu ressenti le besoin de transformer ton approche de l’entrepreneuriat ?
À cette époque, je suis en pleine compréhension des polycrises. Je rencontre beaucoup de gens. Je lis plusieurs livres sur ce qui est en train de se passer, j’essaye de comprendre. Je tombe sur le schéma de Dunning-Kruger et je me rends compte que, oui, la plupart des gens ont des opinions sur tout, mais ne savent rien. Je comprends surtout qu’il faut que j’essaye de comprendre. Ce conflit actionnarial, conjugué à cette compréhension que je crois avoir, me fait comprendre qu’il faut que je hiérarchise les choses. Si créer de la valeur, c’est important, il ne faut pas que ce soit un veau d’or en haut de la pyramide. Parce qu’en l’occurrence, mon associé, il a beaucoup d’argent, mais il est très malheureux. C’est un moment de bascule.
Alors bien sûr, j’ai travaillé sur moi aussi. Pour essayer de comprendre qui j’étais, pourquoi je voulais avoir du succès, pourquoi je voulais gagner, pourquoi je voulais combattre… Il ne suffit pas d’une vie pour faire le tour de soi-même, mais je pense que l’introspection, la compréhension des mécanismes profonds qui nous anime, est fondamentale. Pour avancer, pour se relier au monde. Plus on descend en soi, plus on se relie aux autres. Donc en 2019, je transige. Je paye mon associé.

Ma liberté plutôt que de vivre un conflit actionnarial sur le long terme.
Je comprends à ce moment, que j’ai des responsabilités, un peu de pouvoir : qu’est-ce que j’en fait ? Et à qui est-ce destiné ? Je comprends aussi que le monde qui est en train de se dessiner n’est pas très réjouissant. Donc, je me dis « ok je suis dans une success story où j’ai gagné plein de pognon et où je peux créer une dynastie familiale ». J’ai 3 enfants et une femme, je vais pouvoir leur céder tout ce que j’ai pour les protéger. Donc qu’estce que je vais construire pour leur transmettre ?
À ce moment, je m’interroge sur ce qu’ont déjà reçu mes enfants. Ils sont beaux, ils ne sont pas trop bêtes. Ils y sont pour quelque chose ? Non. Ils sont issus d’un milieu socio-culturel aisé. Ils y sont pour quelque chose ? Non. Et, en fait, je me suis rendu compte que les déterminismes sociaux étaient très importants dans qui nous sommes. Et je me suis posé beaucoup de questions sur mes mérites. En fait, est-ce que j’étais plus méritant que quelqu’un qui n’a pas « le même » succès ? Probablement que non. C’est-à-dire qu’on est le produit de beaucoup de choses qui nous échappent. On a finalement surtout tiré des tickets assez juteux au loto de la vie. Donc ça nous donne finalement une responsabilité. Et pas simplement vis-à-vis de sa progéniture.
Et donc c’est pour “rééquilibrer la balance” que tu changes ta façon de faire ?
Je me suis dit, est-ce que je construis une citadelle de prospérité avec beaucoup d’argent et du patrimoine pour mes enfants ? (Citadelle qui risque probablement d’être assiégée dans le temps par des gens qui souffriront notamment des périls climatiques.) Ou est-ce que je me limite dans cette accumulation ? Parce que, qu’est-ce que je veux transmettre à mes enfants ? Je veux leur transmettre d’abord la liberté de choisir. Je ne veux pas qu’ils pâtissent du syndrome du château de famille. Je me suis dit qu’il fallait préserver leur liberté et qu’ils avaient déjà beaucoup de chance.
Donc, il faut que j’emploie une partie de la richesse que nous créons collectivement dans l’entreprise pour mettre en oeuvre un partage de manière entrepreneuriale. Je me suis dit qu’il fallait mettre en place quelque chose de différent. Il fallait assumer ma responsabilité et surtout craquer le système. L’idée est d’aller au bord de la rupture, sans le renverser. Le système capitaliste dysfonctionne, il faut absolument chercher à le changer. À le disrupter le plus possible pour régler le sujet du partage de la valeur.
Surtout dans un monde où il y aura bientôt 10 milliards d’habitants sur Terre, où les ressources fossiles minérales sont finies. Le gâteau fait 40 000 km de circonférence, plus on prend une grosse part, moins il y en a pour les autres. Et puis le « péril » est également d’ordre technologique. L’intelligence artificielle est une rupture copernicienne d’ampleur même plus importante que l’électricité au téléphone. Pourquoi ? parce que là, potentiellement, plein de choses vont nous échapper. Il va y avoir des algorithmes, des réseaux de neurones profonds, du machine learning qui vont produire de l’intelligence artificielle, qui vont potentiellement avoir un pouvoir d’influence sur les communautés, sur les organisations, et ça, j’ai envie de dire un peu à notre insu. Donc, on a des enjeux technologiques, des enjeux écologiques et des enjeux démographiques et sociaux.
« Il faut craquer ce système, il faut le faire pivoter. Sinon ça ne servira à rien qu’on trie nos déchets et qu’on monte des fermes de permaculture, ça ne suffira pas ! »
Fort de ce constat, j’ai proposé à ma femme qu’on se limite. On a suffisamment d’argent, je ne pense pas qu’avoir plus nous rende plus heureux, au contraire. Je lui ai donc proposé qu’on donne 50 % de ce que nous avons. Sa question était : donner oui, mais pour faire quoi ? C’est là que je lui ai proposé d’essayer de changer le capitalisme… Bien grand mot, mais à notre petite échelle, en essayant d’explorer une voie nouvelle. On a créé une fondation qui est devenue actionnaire de Seabird. On a donné 50 % des titres du groupe à une fondation actionnaire.
L’idée n’était pas de le faire à l’américaine. Je vais caricaturer, mais dans le système américain, on peut être un entrepreneur très talentueux, développer une boîte qui fait de l’extraction et du gaz de schiste, employer des mineurs dans le sud-est asiatique, gagner plein d’argent et une fois qu’on a fait fortune… on monte une fondation qui vient en aide à l’écosystème et protège les enfants. C’est le fameux « give back ». Bon… moi ce n’est pas ma vision de l’entreprise.
Engagement pour le changement : la création de Seabird Impact
Dans ce cas, quelle est ta vision de l’entreprise ?
L’entreprise idéalement ab initio, dès son incorporation, elle doit être respectueuse des capitaux humains et environnementaux. C’est nécessaire. Et c’est encore plus nécessaire dans notre monde. Sauf que c’était une entreprise capitaliste classique. Donc je me suis dit : on va créer un écosystème avec une fondation actionnaire, Seabird Impact dont l’objet est d’accélérer la transition du secteur financier.
Je me rappelle une jeune consultante qui m’a demandé ce qu’on faisait pour la planète. Parce qu’elle voyait ses copines faire de la permaculture et de l’agroécologie. Mais le problème, c’est que si tout le monde fait de la permaculture, ou si tous les étudiants démissionnent, le système va nous rattraper. Si on ne change pas le système, il y aura des banquiers qui viendront racheter les exploitations dans trente ans. Alors, nous, ce que l’on fait, c’est pas très shinny, parce que l’on agit dans le secteur financier.
On va monter une chaire de recherche sur la comptabilité extra-financière. On travaille notamment avec la chaire Double Matérialité qui a été montée par le fondateur de la Triple Capital AgroParisTech, Alexandre Rambaud. Et puis on travaille beaucoup sur les sujets de comptabilité extra-financière. Donc, on essaye de modifier à notre échelle, le système en lui-même. Il faut craquer ce système, il faut le faire pivoter. Sinon ça ne servira à rien qu’on trie nos déchets et qu’on monte des fermes de permaculture, ça ne suffira pas ! Donc c’est moins sexy, mais c’est plus systémique.
Aujourd’hui, la fondation a trois axes de travail. Un axe de recherche avec la création d’une chaire de recherche « Secteur financier, mappemonde : mesurer autrement pour un monde durable et soutenable ». Un axe égalité des chances : on a fait venir 70 jeunes, qui sont en général discriminés pour accéder aux métiers de la finance. Un axe qui consiste à incuber et soutenir des porteurs de projets qui veulent développer une boîte dans le secteur financier, dont l’objet est de résoudre un problème social et environnemental.
Mais on restait dans un hiatus. D’un côté le business, de l’autre côté la philanthropie. Je me le suis dit : bon, il faut que l’on réconcilie les deux, il faut que l’on arrive à effacer les lignes entre la philanthropie et l’économie. En fait, il faut juste faire les choses de manière quotidienne dans notre travail, de manière durable et pérenne, tout simplement.
Sans le dire clairement, tu as partiellement déshérité tes enfants ?
Alors, comme je l’ai fait sur ma réserve disponible, pour l’instant, on ne peut pas dire que je les aie déshérités, puisque c’était à moi. Mais en revanche, effectivement, si je vais au-delà, ce sera une façon de les déshériter. En tout cas, ils devront renoncer à l’héritage. Mais ça pose la question de fond : qu’est-ce que l’on veut transmettre à ses enfants ?
Sachant ce qu’ils ont déjà reçu, sachant l’état du monde. Si j’y réfléchis bien, je crois que je veux plutôt leur transmettre un système de valeurs, une attention portée aux autres, la compréhension de ce qui se joue au-dessus de leur tête, et pas simplement du point de vue de leur petit nombril. La liberté d’entreprendre et de faire des choses.
C’est que je me suis rendu compte que plus je partageais, plus j’avais. Je crois vraiment que le partage, c’est quelque chose de central. Et c’est ça, en particulier, que je souhaite leur transmettre. C’est partager.
Je reprends cette image du camembert de 40 000 km de circonférence. On parle beaucoup de carbone, on parle beaucoup de biodiversité qui s’effondre. En fait, on parle beaucoup des symptômes. Et d’ailleurs, tout le monde a le nez sur SON émission de carbone. Mais qu’estce qui a provoqué ces effondrements ? C’est le système ! Donc, c’est bien d’essayer d’atténuer les effets de ce système. Mais il faut revenir à la source. C’est pour ça que j’essaye de faire en sorte, à ma petite échelle, de modifier la façon dont on comprend les mécanismes de création de valeur et dont on les partage.
On n’a pas d’autre solution aujourd’hui que de partager. Ce n’est même pas une option. C’est pas de l’austérité, c’est une forme de sobriété. Franchement, est-ce que deux voitures, ça va changer ma vie, alors que ça va changer la vie de beaucoup de gens si je renonce à une deuxième voiture ? Nous devons mettre à profit une partie de la richesse que l’on créer pour prendre notre part de responsabilité dans les enjeux sociaux qui sont devant nous.
C’est Lionel Jospin qui, je crois, en 2002, disait que l’État ne pouvait pas tout. C’est lui, le premier, qui a avoué que, finalement l’État, avait des capacités limitées. Le fer de lance de la transition, là où les communautés peuvent encore se mobiliser, le dernier endroit où ça peut se passer, là où il y a une capacité d’actions et de moyens, c’est l’entreprise. Aujourd’hui, il n’y a plus d’institutions, d’endroits puissants pour changer les choses. En tout cas, plus autant qu’avant. L’entreprise est un creuset de diversités. On peut peut-être réussir à faire des choses ensemble, on peut encore faire société sans être dans la polarisation que l’on connaît et qui se développe un peu partout.
Comment cela s’est traduit au niveau entrepreneurial ?
Alors, on s’est dit : on va se transformer en société à mission, on va prendre cet engagement. Des sociétés à mission, il y en a 500 sur 5 millions d’entreprises en France. C’est un statut juridique, la société à mission, ce n’est pas un label de plus comme Ecovadis. C’est-à-dire, dans les statuts qui sont opposables, vous indiquez votre raison d’être et 3 engagements statutaires. Le risque que vous courez, c’est de perdre le statut, donc c’est un risque essentiellement de réputation. Mais quand même, c’est un risque.
Donc, pour Seabird, notre raison d’être, puisque l’on travaille dans le conseil et dans la finance et que notre seul actif, ce sont les personnes avec lesquelles on tavaille, c’est : « placer le développement des potentiels humains, au coeur d’une entreprise inclusive et durable ». Nos trois engagements ? Premièrement, partager mieux la valeur et la décision. Deuxièmement, développer le bien-être des collaborateurs. Et troisièmement, faire venir dans nos offres de conseil des offres d’accompagnement à la transition et sensibiliser nos clients.
Notre empreinte carbone et notre empreinte sur la biodiversité sont très faibles. Nous n’avons pas directement, dans le scope 1 ou dans le scope 2, d’empreinte très forte. Notre responsabilité est sur le scope 3, ce sont nos clients et nos fournisseurs. Il faut qu’on les éclaire sur l’orientation que doivent prendre leur business jusqu’à la redirection écologique de leurs modèles économiques. Et on s’est dit que même ça, ce n’était pas suffisant. Avant, j’avais 95 % du capital, aujourd’hui, je n’en ai plus que 60 %. Pourquoi ? Parce que j’ai créé un fond commun de placement pour l’entreprise. On n’est pas côté, mais on a un FCPE qui est agréé par l’AMF. 70 % des collaborateurs sont actionnaires. Dans les sociétés de conseil non cotées, je n’en connais pas beaucoup qui ont un système comme celui-là.

J’ai également une société de managers et directeurs associés, parce que je veux incentiver les entrepreneurs. Il faut qu’ils gagnent du pognon aussi ! C’est pas le monde de Oui-Oui ! Mais on ne gagne pas n’importe comment. On essaye de le faire en ayant conscience que l’on a beaucoup de chance. Aujourd’hui, 16 % du capital global est aux mains des collaborateurs et 23 % aux mains de la fondation. Pourquoi 23 % alors que j’ai dit vouloir donner 50 % ? Simplement parce qu’en France il y a ce qu’on appelle la réserve héréditaire, quand on a 3 enfants ou plus, on a une quotité de donation de 25 % maximum. Pour le reste, on a discuté avec ma femme et mes enfants qui ont accepté lorsqu’ils auront tous 18 ans de renoncer à une partie de leur héritage pour que l’on aille plus loin.
« Un dirigeant exceptionnel, c’est celui qui non seulement développe de nouvelles activités, mais surtout, qui fait en sorte que tout ne s’écroule pas quand il part. »
Donc voilà aujourd’hui ce que l’on a fait, où on en est. Je ne sais pas si c’est la bonne voie, mais il y a une chose que je sais, c’est que ça me rend vraiment très heureux. Et ce n’est pas facile tous les jours, parce qu’il faut réconcilier le coeur et la raison, le business et la philanthropie. Ce n’est pas une chose facile. Et en même temps, ça embarque. Ça embarque les gens, ça embarque les collaborateurs. Et c’est une aventure, qui ne fait que commencer, mais dans laquelle j’essaye de rallier autour de moi d’autres sociétés de conseil pour aller dans cette voie-là.
Nouvelle gouvernance et transmission des valeurs : pérenniser l’innovation sociale
Comment tout cela se traduit en termes de gouvernance chez Seabird ?
Alors c’est une très bonne question, qui est en cours de travail. Dans une entreprise capitaliste, il y a trois pouvoirs : le pouvoir souverain, le pouvoir exécutif et le pouvoir de surveillance. Le pouvoir souverain, c’est les actionnaires. Dans les entreprises telles que les nôtres, avec un ou deux actionnaires, on est dans ce qu’on appelle les autocraties entrepreneuriales. On a regardé le sujet de l’entreprise libérée, comment travailler de nouveaux modes de prise de décision. Pour partager la valeur, je l’ai déjà dit, on a mis en place un FCPE, les managers associés participent à une MANCO …
Le partage de la décision, c’est plus compliqué, mais très important. C’est ce sur quoi je dois travailler dans les dix prochaines années pour que mon système de valeurs, la vision que j’incarne, moi, en tant que personne physique, passe dans le collectif. Et c’est ça d’ailleurs la différence entre un bon dirigeant et un excellent dirigeant. Un bon dirigeant, c’est un dirigeant qui fait progresser la boîte de 5 à 100 millions, qui développe de nouvelles activités.
Un dirigeant exceptionnel, c’est celui qui non seulement fait ça, mais quand il part, tout ne s’écroule pas. Jack Welsh, l’ancien patron de General Electric, était un très, très bon dirigeant. Pendant son mandat, c’était super, il incarnait la réussite. Dès qu’il est parti, GE s’est beaucoup moins bien porté. Donc le dirigeant d’exception, il prépare à d’autres. C’està- dire que mon système de valeurs et ma vision, l’ADN de l’entreprise, doit pouvoir être incarné par d’autres personnes dans un système de gouvernance qui va me survivre professionnellement. Ça, c’est vachement plus dur !
Là, on est en train de regarder la sociocratie, donc prendre des décisions à plusieurs par la logique du consentement. On en est au début, mais l’idée est là. J’essaye de faire en sorte qu’un système autocratique, où c’est moi qui décidait, parce que j’avais une certaine vision et un certain système de valeurs et donc j’étais garant de la façon dont on faisait du business et de l’attention portée aux autres et de la RSE au global, me survive. Donc j’ai globalement 10 ans pour travailler cette gouvernance.
Aujourd’hui, il y a déjà trois instances de gouvernance chez Seabird. Il y a le comité de mission lié au statut d’entreprise à mission, où j’ai des personnes externes (clients, chercheurs, salariés) qui veille à ce que les engagements pris soient respectés. Ce comité de mission se réunit tous les trimestres et peut saisir le comité stratégique, deuxième organe de gouvernance. Lui, réunit tous les actionnaires. Et puis vous avez le comité exécutif, qui est l’organe de direction opérationnelle de l’entreprise, où il y a les deux directeurs généraux délégués que j’ai nommés et les membres du comité de direction.
Donc aujourd’hui, c’est ça notre gouvernance, et donc je ne décide plus tout seul. Alors après, je suis entrepreneur, j’ai besoin que ça aille vite, je ne veux pas d’un truc trop sophistiqué. Et donc tout l’enjeu, c’est de travailler à ce que la boîte me survive et que son écosystème se développe. Pourquoi ? parce que je veux transmettre la boite à mes collaborateurs et à la fondation. Je vais d’ailleurs doter de prérogatives particulières la fondation, qui aura quelques droits de veto.
Mais en fait je ne fais que déporter le problème, parce que dans la fondation actionnaire, il y aura bien un individu qui prendra les décisions au nom de cette dernière. Et celui-là, comment est-ce qu’il va être nommé ? Comment est-ce qu’il va être révoqué? Comment on va s’assurer que c’est un grand philanthrope et un entrepreneur, parce qu’il faut les deux qualités, puisqu’on veut réunir et réconcilier les deux ? Ça c’est encore devant nous. Ça va être compliqué et en même temps, on fait de l’innovation. C’est très explorateur ce qu’on fait et, encore une fois, qu’est-ce que c’est chouette.
Interview réalisé par Grégory Pouy lors de la Convention des dirigeants Eurus